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Mayline Tisserand

Les films Marvels sont-ils du vrai cinéma ?

Qu’est-ce qui définit réellement un héros ou une héroïne ? Personnage fictif ou bien réel, un héros inspire par ses actes de bravoure extraordinaires. Il est un modèle de bonne conduite, de courage : un exemple à suivre. Il suscite l’admiration par ses valeurs dont il est l’étendard et le protecteur, ainsi que par sa morale intransigeante, sa vertu inébranlable mais aussi par son apparente humilité. Un héros se bat rarement pour lui même, il le fait dans l’optique d’aider une population, de sauver le monde. Rien que ça. Depuis l’Antiquité grecque ou romaine, où ces personnages étaient perçus comme des vrais dieux, les héros sont au coeur des histoires et des légendes. Car, en effet, les héros sont surtout issus de la fiction. Les Thésée, Héraclès ou autres Ulysse ont laissé leur place aux super-héros aujourd’hui qui, de par leur nom, se placent au-dessus de leurs ancêtres.



Le premier super-héros moderne est Superman, né en 1938, (toujours prêt à sauver le monde malgré ses 84 ans !) sous la plume de Joe Siegel, Joe Shuster et Wayne Boring. Véritable icône culturelle américaine, il est le premier maillon d’une longue lignée d’héros qui s’enchaînent. Il est fort probable que vous, qui lisez ce modeste texte, ayez déjà rencontré un super-héros, que ce soit en comics, dans la vitrine d’un magasin ou sur grand écran. Les films les plus croustillants sont en effet les longs-métrages peignant l’affreusement parfait portrait des super-héros. Et, comment pouvons-nous oublier de mentionner le géant Marvel ? Son premier film à gros budget : Iron Man, a complètement cassé les codes des super-héros, en présentant un personnage principal arrogant, égoïste et imbu de sa personne. Son parcours de rédemption fait de lui un vrai héros dans les films suivants. L’influence du studio a permis de re-définir un héros : il doit suivre un parcours initatique, pour s’améliorer et non plus être né parfait, génial ou divin. Quelle meilleure manière pour s’identifier à eux ? Ils montrent que malgré les erreurs, c’est ce que vous faites qui vous définit, et non pas ce que vous êtes.


Trop parfaits, dites-vous ? Il semblerait que certains des plus grands réalisateurs du monde soient d’accord avec vous. Le grands esprits se rencontrent ! Mais ne vous flattez pas trop, je vous rappelle que vous êtes sûrement dans votre lit en lisant ceci, avec un paquet de chips ou une bouteille de soda sur votre table de nuit. En effet, la semaine dernière, dans le podcast anglophone « 2 Bears, 1 Cave » diffusé sur YouTube, le réalisateur Quentin Tarantino a déclaré que « nous sommes en train de vivre la pire ère d’Hollywood de l’histoire ». Le réalisateur s’attaque au studio Marvel, dont les films sont très populaires. Les films plus singuliers, moins formatés, n’auraient alors plus leur chance pour séduire le public, selon lui. La légende Francis Ford Coppola a ajouté que les films Marvel étaient « méprisables ». Véritable coup de tonnerre pour les acteurs du MCU, et leur public, qui semblent fièrement se dresser contre ces critiques. Je vous propose alors d’essayer de confirmer ou d’infirmer cette théorie aujourd’hui.


« Ce sont les seules choses qui semblent être réalisées en ce moment et qui semblent générer un quelconque engouement de la part des fans », a déclaré Quentin Tarantino. En effet, nous ne pouvons pas enlever ça à la communauté Marvel. L’un des derniers films de la phase 3 (Avengers : Endgame) a enregistré un box-office record pour le studio de 2,798 millards de dollars depuis sa sortie au cinéma. Il se classe alors deuxième sur la liste des films les plus rentables de tous les temps, derrière le premier volet d’Avatar. L’engouement autour du MCU est sans précédents : la diversité des films tant dans leur casting que dans leur genre, les effets spéciaux de plus en plus spectaculaires, la fidélisation de l’audience (parfois vue comme du fan-service) permettent de créer une vraie communauté, toujours au rendez-vous, malgré un petit essoufflement depuis la sortie de Avengers : Endgame en 2019. Tarantino a ajouté « Il n’y a pas vraiment de place pour autre chose. C’est mon problème. » Il précise bien qu’il ne déteste pas les films Marvel, mais il déplore le manque de diversité dans le cinéma populaire. Si ses mots peuvent paraître durs, nous ne pouvons pas nier l’omniprésence des films Marvel dans les cinémas. Ils font le plus d’entrées, attirent le plus de personnes, sont les plus relayés sur les réseaux sociaux. Mais, est-ce forcément une mauvaise chose ?


L’acteur canadien d’origine chinoise Simu Liu, qui incarne le personnage de Shang-Chi dans l’une des dernières productions Marvel « Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux », a répliqué sur Twitter à ces critiques. Il écrit : « Aucun studio n’est et ne sera parfait. Mais je suis fier de travailler pour un studio qui fait des efforts prolongés pour améliorer la diversité à l’écran, en créant des héros qui donnent plus de pouvoir à des communautés du monde entier. J’ai aimé « l’âge d’or » également, mais… c’était super blanc. ». Les films Marvel créent alors des symboles, des héros en qui le monde entier peut se reconnaitre, que ce soit par les messages dont ils sont le porte-parole, ou la communauté qu’ils représentent. Les héros sont des vecteurs de renforcement communautaires autour de leur personne. Aujourd’hui, ils se doivent d’être engagés pour une cause, incarner un groupe souvent lesté d’une société, pour créer de l’empathie de la part des spectateurs, pour s’ancrer dans la réalité de l’époque où sortent les longmétrages. Nous pouvons dire que les super-héros sont de plus en plus politisés. Nous avons désormais des super-héroïnes ou encore des héros issus de la communauté LGBTQ+; des catégories sociales souvent discriminées. La question devient alors : la politisation devient-elle un argument de vente ? Est-ce réellement éthique de profiter des discriminations sociales et politiques des gens, pour les faire venir au cinéma ? Voilà peut-être un paradoxe des films de super-héros, dont la morale irréprochable semble s’ébranler.


De même, Tarantino a expliqué que, selon lui, les vrais stars du MCU n’étaient pas les acteurs, mais bel et bien les personnages. Il est vrai que nous connaissons généralement ces personnalités comme « l’acteur » ou « l’actrice » de tel ou tel personnage. Nous connaissons rarement leurs noms. Il est possible qu’un acteur reste enfermé dans son rôle, car il l’a interprété pendant des années, à tel point que les réalisateurs, et le grand public, ne l’imagine pas incarner un autre personnage. Pour ne pas citer sans arrêt le MCU, nous pouvons mentionner l’acteur Daniel Radcliffe, qui est encore catégorisé sous la bannière de « l’acteur d’Harry Potter » aujourd’hui.


Ce que Scorsese et Tarantino déplorent enfin, c’est la « marvelisation du cinéma ». Outre la critique évidente de la prépondérance des blockbusters, on peut y voir une autre signification. La marvelisation consiste à transformer une question complexe en sujet simpliste, en déifiant une partie, et en diabolisant l’autre. Le terme vient évidemment du studio cinématographique, dont les vilains sont considérés comme sans profondeur et unidimensionnel, tandis que les héros sont sans défauts et ont toujours raison. Cela sacrifierait alors la vérité est l’esprit critique. Dans la réalité, tout n’est pas tout noir ou tout blanc, tout n’est pas divisé entre le bien et le mal. Certains réalisateurs et acteurs l’ont bien compris et ont décidé de créer des personnages moralement « gris », des antihéros, ou des vilains très compréhensibles. Chez Marvel, l’anti-héros de référence est surement Deadpool. Il rejette le parcours classique du héros et utilise l’humour pour se distancer du label « héros ». C’est une brute gore, doublée d’un mercenaire avec un très sérieux syndrome post-traumatique, quand on voit qu’il se considère comme amoureux de la mort. Thanos, quant à lui, pourrait faire office de vilain controversé. Il est présenté comme l’ultime « bad guy » de l’histoire des Avengers, l’homme à abattre, le superméchant. Son projet sur Terre est d’anéantir la moitié de sa population, dont il laisse le choix des victimes au hasard, la seule justice possible. Quel adorable petit bonhomme de 2 mètres 50. Cependant, beaucoup de fans estiment que Thanos a raison. À cause de la surpopulation terrestre, les ressources manquent, la folie des hommes se révèlent pour survivre, les comportements égoïstes sont en nette croissance etc. La manière la plus simple de pallier ce problème serait de réduire cette population à un niveau stable, pour éviter l’extinction totale. Si la méthode laisse à désirer, le motif de Thanos a le mérite de poser des questions assez intéressantes sur la nature humaine. D’ailleurs, c’était un parti pris intéressant de faire gagner Thanos à la fin d’Avengers : Infinity War. Les critiques de Scorsese et Tarantino ont été valables un temps, mais aujourd’hui les personnages de Marvel ne sont plus si policés.


Donc, que pouvons-nous tirer de cet affrontement ironiquement épique ? Aujourd’hui il existe un véritable schisme entre les films de super-héros à gros budget, et les autres films plus singuliers, qui peinent parfois à rentabiliser leur coût. Les derniers considèrent les premiers comme des films pour adolescents sans cervelle, cherchant quelques punchlines et une bonne bagarre sans trop réfléchir. Les films issus des gros studios sont sûrs de faire un bon chiffre, peu importe le contenu, car ils sont regroupés sous la bannière populaire de leur studio. On connaît d’ailleurs rarement le nom des réalisateurs derrière les studios. On ne va plus voir le film de tel ou tel réalisateur, mais bel et bien « le nouveau Marvel ». C’est une critique que nous pouvons également faire aux plateformes de streaming comme Netflix. À la fin des trailers, il est bien précisé qu’il s’agit d’une « production Netflix », le réalisateur n’est parfois même pas mentionné. Nous pouvons même élargir la critique plus loin, en évoquant la prépondérance du cinéma américain, ce que Scorsese et Tarantino ne critiqueront sûrement jamais. En tout sincérité, qui regarde régulièrement des films Bollywood (venus d’Inde) ou Nollywood (venus du Nigéria) ? Pourtant, les deux entités dépassent largement son équivalent américain concernant le nombre de films produits.


Certaines critiques sont recevables concernant le studio Marvel, notamment autour du fan-service, des ouvrages utilisant le pinkwashing ou le greenwashing etc. Il ne faut pas oublier que Marvel appartient maintenant au géant Disney : un studio ambigu. Disney, c’est à la fois les contes de notre enfance, mais aussi la super-industrie qui a compris comment capter l’attention du public pour faire des super-entrées. Malgré tout, les personnages plaisent. Ils plaisent parce qu’ils inspirent les spectateurs à s’améliorer en tant qu’humain. Les films plaisent. Ils plaisent car ils sont une source de divertissement et d’émerveillement pour le public. Ils plaisent car ce sont de grands spectacles qui prennent au tripes, qui nous touchent au plus profond de nous-mêmes et stimulent nos sens avec des effets spéciaux toujours plus grandioses, des musiques émouvantes, des décors et un investissement toujours plus audacieux. Ils plaisent pour des bonnes raisons, qui expliquent leur succès phénoménal, et donc leur omniprésence. Quand on se lance dans un terrain aussi glissant que le cinéma, il faut accepter de jouer le jeu de la concurrence rude. Un travail très bien réalisé peut être un flop total. Encore une preuve que le succès ne se mérite pas. Il arrive, ou pas. Des réalisateurs comme Tarantino n’ont plus rien à prouver à personne, et s’attaquer à Marvel reste la solution de facilité. Il semblerait que les films Marvel ont encore de beaux jour devant eux au cinéma.


Qu’est-ce donc que le « vrai » cinéma, comme le dirait si bien Tarantino ? Celui qui fait le plus de chiffres ? Le plus divertissant ? Le plus profond et philosophique ? Celui qui se rapproche le plus du réel ? Il ne faut pas oublier que le cinéma a été une industrie avant de devenir un art : dans les années 50, c’était le mot d’ordre d’Hollywood : faire du chiffre, avec des acteurs devenus des sex symbols, des scénarios parfois simplistes etc. Il s’agit de « l’âge d’or » dont parlait Sim Liu dans son tweet. Par extension s’il existe un « vrai » cinéma, il doit en exister un « faux », n’est-ce pas ?


La réponse est bien évidemment : non. Le cinéma ne doit pas se targuer d’être divertissant ou intellectuel : il doit être les deux. Le cinéma est un art ET une industrie. Son but est d’offrir un large panel d’émotions, qu’il soit compris par tous. L’important est la manière dont est réalisé le film par rapport à son scénario, le public qu’il vise, la qualité du jeu d’acteur etc. Il n’existe pas de vérité objective sur le cinéma, comme il n’existe aucune vérité objective sur la musique, la peinture etc. C’est la beauté de cet art complet et complexe : vous trouverez forcément un cinéma qui vous plaît, du long-métrage le plus intellectuel qui dénonce des faits de société, à la parodie la plus absurde pour s’amuser. Malgré toute l’admiration que nous pouvons avoir pour leurs productions, les remarques comme celles de Tarantino ou Coppola ne font qu’alimenter ce conflit inutile et puéril. N’ayez jamais honte d’aller voir tel ou tel film, votre appréciation n’en est que personnelle, et votre avis n’a rien de péremptoire. La plupart du temps, les films sont de la fiction : on invente une histoire. Par essence, tout peut être vrai, comme tout peut être faux. La beauté du 7ème art réside dans le fait de ne pas avoir de réponse objective et cartésienne. Comme le dirait Alfred Hitchcock : « Demander à un homme qui raconte des histoires de tenir compte de la vraisemblance me paraît aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter les choses avec exactitude. »


Vous pouvez désormais ranger votre cape bariolée, votre slip le plus moulant et reprendre ce paquet de chips, nous en avons terminé avec le studio Marvel, mais vous n’avez certainement pas fini d’entendre parler de moi. Je vous remercie d’avoir lu jusque-ici, et surtout n’oubliez pas que les héros naissent grâce à la voie qu’ils choisissent de suivre, et non pas les pouvoirs qui leur sont accordés.

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