Si la nature de l’homme fascine, elle a donné du fil à retordre aux auteurs et philosophes à travers l’histoire. Oscar Wilde s’y est essayé dans son unique roman, Le Portrait de Dorian Gray, en 1890. Le jeune homme dispose d’une beauté extraordinaire, non sans rappeler celle d’un Dieu grec. Empreint d’une naïveté juvénile, il se laisse pervertir par les propos de Lord Henry, un ami du peintre Basil Hallward, chargé de réaliser son portrait. Comprenant l’importance de sa beauté dans une société anglaise vaniteuse, il est subjugué par son visage sur la toile. C’est son plus bel atout, il devient précieux de le protéger. Jaloux, il implore que ce soit le Dorian du tableau qui prenne la marque du temps. Dépérir n’est plus envisageable, bien que chaque homme y soit confronté. Son souhait, s’il scellera sa fin, le rend immuable, parfait : plus jamais il ne vieillira.
“Quel dommage ! Je deviendrai vieux, affreux, horrible. Mais ce portrait restera toujours jeune. Il ne sera jamais plus âgé qu’en ce jour de juin... Si ce pouvait être le contraire ! Si je demeurais toujours jeune et que le portrait vieillisse à ma place ! Je donnerais tout, tout pour qu’il en soit ainsi. [...] Je donnerais mon âme !”
A travers son roman, Oscar Wilde, pose la question du beau et du laid, de l’art et du vivant, de la morale et de la décadence. Surtout, il questionne : où réside l’âme humaine ? Dorian Gray en est-il encore le maître ? Ou bien l’a-t-il perdu le jour où il souhaite que son tableau vieillisse à sa place ? L’interprétation revient au lecteur, mais Wilde met en garde. Attention à celui qui se laisse corrompre et oublie toutes valeurs. Attention à celui qui se croit invincible et agit comme si les conséquences n’étaient de ce monde. Attention, nous dit l’auteur, au risque de subir un destin tragique.
Il pose aussi la question de l’œuvre d’art, de son lien avec l’artiste et avec son objet, jusqu’à n’en faire plus qu’un. Le roman réussit à transcender le vivant en art et l’art en vivant. La vie, si elle est belle, dès lors, ne tient qu’à un fil.
Le Portrait de Dorian Gray tient en haleine son lecteur, avec un soupçon de suspense et d’intrigue. Les rebondissements s’enchaînent au gré de la descente en enfer de l’antihéros, jusqu’aux dernières pages. C’est ainsi que l’homme y est dépeint comme égoïste, vivant sans remords, ni valeurs. Seul la recherche du plaisir, de l’immuable, de l’éternité, ne semble compter. Un portrait peu flatteur donc, pour mettre en lumière les vices de l’être humain.
En refermant l’unique roman d’Oscar Wilde, le lecteur retiendra que la quête de l’esthétisme doit servir à cultiver l’homme dans sa vertu, non pas son apparence physique. Ainsi, Dorian Gray nous l’apprend, le beau n’est pas forcément bon.
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