La Chine était le pays le plus peuplé au monde en 2021 avec 1,4 milliard d’habitants, une telle population nécessite un nombre de logements en conséquent. L’immobilier revêt une valeur très particulière au pays du Milieu, plus précisément les biens de luxe. Ce marché s’est intensifié, les milliardaires chinois étant toujours plus nombreux au fil des années. La tendance immobilière et le mode de consommation amènent ainsi à la reproduction de biens immobiliers, classés par l’Unesco ou architecturaux européens, au cœur même du territoire chinois.
Le marché immobilier chinois représentait 10% du PIB en 2019, secteur significatif, l’explosion des revenus de la vente de biens immobiliers est de pair avec la hausse des prix du logement, celui-ci ayant quasiment doublé en dix ans. La conception française du bien immobilier diffère de celle chinoise, le bien immobilier est considéré comme un investissement avant une marchandise. En cela, l’immobilier représente 74% du patrimoine de la Chine contre 61% en France. Le gouvernement bénéficie grandement de ce secteur grâce aux recettes fiscales et constitue un point majeur de l’économie nationale. Un tiers du bilan des établissements financiers représente les prêts immobiliers. Les consommateurs chinois sont par conséquent attirés davantage par biens immobiliers qualitatifs, modernes et confortables, construits par les principaux promoteurs immobiliers.
Le phénomène de copie n’est pas un élément récent en Chine, de l’objet à l’architecture, tout est aujourd’hui envisageable. Dans le cadre de l’immobilier, Bianca Bosker, auteure du livre Original Copies Architectural Mimicry in Contemporary China, nomme la tendance « duplitecture ». N’importe quelle copie de bien immobilier n’est pas obligatoirement qualitative, une copie requiert une maitrise des procédés et des techniques spécifiques utilisées lors de la production d’un bien. La parfaite copie n’est ainsi pas un art à portée de main. La capacité d’un architecte à reproduire à l’identique un bien est ainsi valorisé en Chine. L’authentique n’a pas autant sa place, par opposition à l’Occident.
Les entreprises chinoises et le gouvernement ont su surfer sur la tendance, de ce fait, il est aisé de se balader aux Champs-Élysées, observer l’architecture Bauhaus allemande, contempler un moulin à vent hollandais ou prendre des photos avec les fameuses cabines téléphoniques anglaises, tout cela au sein d’un unique pays. « La Chine, qui pensait autrefois être le centre du monde, est en train de devenir l'endroit où se concentre le monde », écrit Bianca Bosker.
L’exemple du quartier de Tiandu Cheng, dans la ville d’Hangzhou, à 161 km de Shanghai à l’ouest, est criant en ce sens. Le quartier surnommé le « Paris de l’Est » s’étend sur 1.900 hectares et comporte 700 immeubles pouvant accueillir 10 000 habitants. Le projet naquit en 2007 des mains de Guangsha, une entreprise chinoise, l’idée était de proposer un quartier résidentiel de haut standing dans un style haussmannien. Le pari est réussi, une réplique de la Tour Eiffel trône au milieu du quartier de ses 107 mètres de haut. Le Champs-de-Mars, les vignes de Montmartre, l’Arc de Triomphe, une fontaine des Jardins du Luxembourg ont également été reproduits. Son intérêt était avant tout cinématographique. Mais, nombre de touristes chinois en mal de voyages viennent visiter le quartier ou passer leur lune de miel au Paris chinois. L’inclination pour le concept n’a malheureusement pas suscité la vague d’emménagements attendue, seuls 2000 personnes vivaient sur place à ses débuts, soit trois habitants pour un bâtiment, en somme une ville fantôme. Il a fallu attendre 2018 pour que les charmes du quartier de Tiandu Cheng dans la ville d’Hangzhou séduisent progressivement pour attirer ses 30 000 habitants.
Néanmoins, ce projet s’est révélé être une réussite, cela n’était pas assuré. Le syndrome des villes fantômes poursuit inlassablement ce type de projet suivant la tendance de reproduction architecturale européenne.
D’autres quartiers ont fleuri en suivant cette tendance. Ces copies attirent souvent l’attention des habitants du pays d'origine, suscitant réactions positives comme négatives.
La ville autrichienne de Hallstatt, classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1997, a entendu pour la première fois la mention d’un projet d’une réplique parfaite de la ville en 2011. La construction avait alors déjà débuté à Boluo, dans la région sud de la Chine. Les architectes Sebastian Acker et Phil Thompson ainsi que la société Minmetals, reconnus pour leurs nombreuses reproductions, sont à l’initiative du projet, réussi et honorifique pour l’architecture historique de la ville selon le maire d’Hallstaat, Alexander Scheutz. La mairie a passé un accord d’échange culturel avec sa ville copie. 1000 fois plus grande que l’originale, l’ensemble du pittoresque village est construit à l’identique avec son clocher d’église, sa place, les statues. Une délégation autrichienne s’est rendue sur place au vu d’assister à la cérémonie d’ouverture du complexe destiné aux riches Chinois. La Hallstatt « Made in China » est évaluée à un coût de construction de 940 millions de dollars par l’Unesco, selon Reuters.
En 2014, quand l’Égypte fut à son tour préoccupé par l’imitation du Sphinx de Gizeh en province d’Hebei, la réaction fut tout autre. Le ministre égyptien des antiquités a déclaré dans l’hebdomadaire Al-Ahram que cela constituait « une violation des droits de l'Égypte à son patrimoine culturel et une mauvaise imitation défigurant l'original ». En conséquence, le ministère a porté plainte auprès de l’Unesco ayant classé ce bien depuis 1979, le site était considéré comme une des sept merveilles du monde antique. La Chine a alors fait la promesse de détruire la copie, affirmant "Nous avons un profond respect pour l'héritage culturel mondial et nous présentons nos excuses au cas où il y aurait eu un malentendu". Selon le gouvernement, le faux Sphinx était un élément de décors cinématographique. Certaines sources proches de l’entreprise assurent que ce « décors » aurait couté 1,25 million de dollars. Le pseudo Sphinx de Chine a seulement été détruit en avril 2016, après quelques tensions diplomatiques.
Le fait est que seules les entreprises ne maitrisent pas ce marché, l’État et les municipalités sont également impliqués dans la construction de ces logements à l’architecture européenne.
Le programme d’urbanisme réputé pour son appropriation culturel est « one City, Nine Towns », lancé en 2001 par la mairie de Shanghai. L’initiative fut vivement critiquée et fit beaucoup de bruit parmi les architectes. Il illustre le phénomène généralisé de copie sur l’ensemble du territoire. Le projet expérimental répond à la logique architecturale internationale de Shanghai, la vitrine du pays, et souhaitait répondre à la pénurie de logement lors de son lancement. Le programme prévoyait dix villes nouvelles, chacune dotée d’un quartier du style européen : le quartier hollandais, le quartier allemand, le quartier anglais et même suédois sont construits. Néanmoins, la logique architecturale européenne a difficilement été implantée et les copies ne sont pas de grandes réussites. En conséquence, en 2006, le projet a été abandonné. L’idée de décentralisation n’était pas mauvaise en soi, mais l’éloignement de Shanghai et le manque de transports ne sont pas des atouts. Le positionnement, l'accessibilité et les prix élevés de l'immobilier ont réduit ses quartiers à des fantômes.
Cette notion de copie architecturale soulève une question quant à ses limites juridiques, son intérêt réel pour la population chinoise ainsi que sur le sens que revêt cette volonté de reproduire l'Occident à l’identique. Aucune étude n’a encore été menée afin d’analyser ce phénomène architectural et ses origines. Néanmoins, certaines explications portent à croire que cette tendance historique est héritée des empereurs chinois. Lorsqu’un pays était conquis par la Chine, l’empereur agençait ses jardins à la manière de ses nouveaux territoires.
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