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Noah Vidon

Le folklore japonais à travers le prisme de Hayao Miyazaki.

Aborder le Japon c’est accepter de trébucher de paradoxe en paradoxe dans un monde fascinant aux allures folkloriques, qui charme autant les fans de mangas et de pop culture que les amateurs de jardins zen et de haïkus. De nos jours, bien que le Japon soit naturellement rattaché au continent d’Asie, son histoire nous rappelle qu’il a pendant quelques siècles, vécu en vase clos : imprégnée d’une mentalité insulaire, la période Edo (1650-1842) se caractérisait d’un isolement total à l’égard du monde extérieur, or force est de constater que le XXIe siècle dévoile un Japon attrayant et captivant aux yeux du monde.


Les sushis. La saveur, la disposition du produit dans l’assiette, la forme circulaire parfaite et les couleurs vives nous mettent l’eau à la bouche. La France est, à ce titre, le plus grand consommateur européen de sushis.


L’immensité sauvage du paysage japonais. Du mont Fuji au torii flottant d’Itsukushima, en suivant les sakuras – symbole de l’éphémère beauté – de Tokyo, la culture japonaise est à la recherche d’un équilibre esthétique entre minimalisme et shintoïsme.


Les légendes traditionnelles influencées par le shinto et le bouddhisme. De véritables puits d’imagination qui révèlent des êtres surnaturels, des esprits, des monstres : les kami, le kitsune, les yokai, Susanoo, le Dragon d’Enoshima (…). Le Japon suscite en nous une appétence indescriptible pour la découverte de l’inconnu.


Le Japon est un monde à part.


En hommage à Hayao Miyazaki,

L’homme qui partageait ses rêves au monde.



« Nous pouvons montrer aux enfants à quel point la vie vaut la peine d’être vécue. Et c’est aussi ça le moteur dans notre métier : donner de l’espoir aux enfants. Ce qui nous importe c’est de faire un film que les enfants vont voir et qu’ils auront envie de montrer à leurs enfants quand ils seront grands. »

Hayao Miyazaki, 2016


Hayao Miyazaki est né le 5 janvier 1941 à Tokyo, au sein d’une famille bourgeoise : son père dirige une société de fabrication d’avions de chasse japonais et sa mère, atteinte de tuberculose, subit les derniers moments de sa vie sur son lit de mort. Marqué par la détonation des armes et des stigmates de la guerre, le Japon qu’il découvre témoigne du dernier degré de sauvagerie de l’Humain: il assiste, à 4 ans, aux bombardements de la ville d’Utsunomiya.


Afin de s’évader de ce monde d’horreurs, il apprend, dès son plus jeune âge, à lire et à dessiner en autodidacte dans les ateliers de son père : d’une simple passion pour l’aviation, il découvrira en 1958 une révélation pour l’animation. Après l’obtention d’un diplôme d’économiste en 1963, il est embauché par Toei Animation remarqué pour son travail acharné et talent unique : il y pratique, pendant plus de 20 ans, tous les métiers de la profession (animateur, scénariste, réalisateur, producteur). En 1983, il produit son premier film d’animation « Nausicaä de la vallée du vent » et connait un succès national : 38 ans après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, l’auteur présente un scénario post-apocalyptique dans lequel le monde est figé dans l’hiver nucléaire de la guerre. La nécessité de retrouver un équilibre entre l’Humain et la nature est alors attribué au rôle de son héroïne. Les convictions d’H. Miyazaki en fait une personnalité unique et incopiable. En 1985, avec l’aide du réalisateur Isao Takahata et du producteur Toshio Suzuki, il fonde le Studio Ghibli. Le grand enfant du Japon dénonce la guerre d’invasion comme une erreur de l’humanité et véhicule dans ses chefs d’œuvres : l’antimilitarisme, le féminisme et s’impose comme fervent défenseur de l’environnement.


En 1997, la sortie de « Princesse Mononoké» fait de lui une célébrité internationale tandis que les accords entre Ghibli et Disney permettent la distribution de ses films sur l’intégralité du globe. Si sa force réside dans l’animation de ses histoires, ses personnages fictifs caractérisent son courage, sa hargne, et sa vision ultra-moderne du combat de l’humanité. En 2003, il obtient l’Oscar du meilleur film d’animation pour «Le Voyage de Chihiro » et se voit attribué une place dans la liste des personnalités asiatiques les plus influentes. À 74 ans, il reçoit un Oscar d’honneur et réagit en annonçant à son public : « Ma femme me dit que je suis un homme chanceux ». Hayao Miyazaki est décrit par ses collègues comme un rêveur doué de «bonté et d’humilité face à n’importe quel public » : s’il a réussi à faire voler un cochon, marcher un château et parler des tanukis, son univers fantastique enivre nos esprits.


« Je traîne ma carcasse et j’ai la tête dans les nuages. »

Hayao Miyazaki


Si H. Miyazaki réservait d’abord ses œuvres au public japonais, celles-ci ont fini par toucher le marché occidental et de facto, le monde : les thèmes profonds qui traversent l’ensemble de son œuvre font de Miyazaki un cinéaste humaniste, respecté et apprécié – en France, « Le voyage de Chihiro » et « Le château ambulant » ont dépassé le million d’entrées dans les salles obscures et à Shibuya, tous les fans de Totoro connaissent la ritournelle du film. Pourtant, même si les bandes originales composées par Joe Hisaishi séduisent notre ouïe, quelles volontés se cachent derrière ces scénarios fictifs ?


La nature. « La forêt est un être vivant, mais pour incarner sa force un arbre qui marche n’est pas la meilleure idée - alors j’ai cherché à concevoir un animal fantastique qui puisse exprimer toutes les valeurs importantes dans les plantes, les arbres, et la nature. »


Dans « Mon voisin Totoro », les japonais retrouvent tout ce qu’ils ont oublié dans ce monde moderne: les rivières, les forêts, les esprits et les divinités. La sacralisation de la nature et les croyances animistes japonaises, fruit d’innombrables histoires anciennes, rappellent que 70% du Japon est un paysage montagneux, caractérisé par une ouverture sur la mer et l’océan, et que le récit culturel japonais est historiquement mythologique. De plus, le vent est omniprésent dans ses œuvres : d’une part pour satisfaire un plaisir visuel personnel, et d’autre part pour exprimer la recherche du temps qui passe et la mouvance des éléments les plus ordinaires.



Dans « Princesse Mononoké», H. Miyazaki nous présente un conte païen du Pays du Soleil Levant : l’éternel affrontement entre les dieux de la forêt et les Hommes. L’essentiel de l’histoire, bien que basée sur le rapport de force entre 2 groupes, ne présente pas une vision manichéenne du Bien et du Mal. Le message est clair : la nature et l’Humain doivent cohabiter afin de créer une harmonie sans supplanter son opposant. Toutes les motivations, que ce soit celles des humains ou celles des dieux de la forêt sont présentes et mises en parallèle. De fait, l’œuvre est autant un enchantement visuel et sonore, qu’une leçon à assimiler à la réalité humaine. Hayao Miyazaki ne s’attarde pas sur l’immensité du monde mais bien sur la culture traditionnelle japonaise et ce que ses paysages lui inspirent : selon le shinto, chaque élément et phénomène naturel à une âme – il joue donc de cet aspect religieux pour partager son talent artistique unique.



Le féminisme. « Michael Kimmel posait la question suivante lors d’une conférence TED : quand tu te réveilles le matin et que tu regardes dans le miroir, qu’est-ce que tu vois ? 9 – une femme blanche a répondu : « je vois une femme » , une femme noire a dit : « je vois une femme noire» - je dis : « je vois un être humain ».


Connu pour ces engagements humanistes, nombreux sont ceux qui voient en la personne de Hayao Miyazaki le père d’un féminisme avant gardiste en matière de film d’animation. Dans l’univers cinématographique, Hayao Miyazaki se démarque des standards classiques et dépeint des femmes fortes, indépendantes et inclassables : l’image de la femme en tant que protagoniste de films nous confronte à des représentations très spécifiques.

Dans sa quête d’harmonie, il met en avant une recherche d’égalité entre la femme et l’homme: influencé par le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de J-J Rousseau, Hayao Miyazaki combine les énergies des deux sexes pour créer une illusion d’union par laquelle se résolverait le destin et l’équilibre du monde. Il a dédié son œuvre à la Nature mais l’a également offert à la femme, à la mère, à la guerrière et à celles qui ont vécu à travers le temps. Dans la majeure partie de ses films d’animation, la femme occupe un rôle prépondérant : San dans «La Princesse Mononoké», Nausicaa dans « Nausicaa et la vallée du vent », Chihiro dans «Le voyage de Chihiro», Sophie dans «Le château ambulant », Arietty (les titres éponymes des films témoignent par ailleurs de l’hommage qu’il rend à ses héroïnes) … Ce sont toutes des anti-héros qui souffrent des maux de la planète, d’une quête intérieure, de l’amour, ou encore d’une lutte sociale. Par ailleurs, les héroïnes miyazakiennes héritent d’un lien particulier qu’elles partagent avec un élément naturel et s’adaptent à leurs opposants en cherchant à les comprendre (disposition nécessaire à la pacification du monde).


La philosophie humaine.

Avidité, désir, pouvoir, guerre… Des vices propres à la fourberie humaine que Hayao Miyazaki met en avant dans ses œuvres pour dénoncer les fléaux dont nous sommes les instigateurs. Lui-même enfant de la 2nde Guerre Mondiale, il illustre le penchant douloureux des pertes, des affronts, et des séquelles de guerre : réel pacifiste, il a choisi le dessin et l’animation pour mettre le monde devant ses questions sociétales essentielles.

- La guerre résulte de jeux de désirs entre des forces plurielles

- La morale doit triompher, le mal doit succomber

- Le désir n’offre que douleur et souffrance

- Le monde est contaminé d’êtres égoïstes

- Se souvenir est une nécessité


Hayao Miyazaki est présenté comme un homme de valeurs, attaché à sa philosophie de vie : si de manière globale, ses œuvres font ressortir la thématique du temps, de la vie et de l’espoir, la magie de son imagination n’a de cesse de nous présenter un univers riche en émotions.


L’esprit d’un génie

L’imaginaire d’Hayao Miyazaki a éminemment participé à la découverte de la culture traditionnelle japonaise auprès de ceux qui, tout comme lui, aspiraient à rêver : grâce au devoir de mémoire que ses films d’animation véhiculent, les croyances shintoïstes perdurent dans le temps et les coutumes de la civilisation japonaise sont diffusées dans le monde. Fier de son travail, Hayao Miyazaki met un point d’honneur à réaliser ses dessins lui-même et non grâce à l’assistance d’un ordinateur : il refuse de se soumettre aux technologies de son temps, et privilégie un crayon à papier et une feuille plutôt qu’une machine. Il capture un paysage, un lieu, un moment et le projette sur un papier vierge : de là s’ensuit alors une aventure intrigante entre son crayon et sa créativité. Il s’en remet à ce qu’un unique dessin peut lui inspirer: pour « Mon voisin Totoro » il disposait, à l’origine, seulement d’un dessin d’une fille et d’une créature devant une station d’arrêt de bus. D’un monde vierge, il comble son innocence avec des vies : « mes films montrent la beauté du monde. La beauté inaperçue». Chaque détail remplit l’histoire de couleurs tant vives que fades, et rend l’atmosphère riche de sensations : c’est cette excellente observation qui permet la forte résonance émotionnelle ressentie dans ses films. Paradoxalement, même si son monde est rempli, chaque scène nous laisse la possibilité de respirer et d’embrasser une liberté d’imagination. De plus, Hayao Miyazaki refuse la banalité du monde qu’il décrit : « une foule n’est pas un amas de personnages, mais un regroupement d’humains uniques, aux traits spécifiques et aux caractéristiques dissociables ». Plus que simplement vouloir les faire vivre, Hayao Miyazaki désire que ses personnages inspirent: les spectateurs doivent pouvoir déceler l’âme et l’action de chaque protagoniste. Il souhaite, en quelques sortes, transmettre un message optimiste sur la vie aux générations futures : « pour continuer à vivre, tu dois te battre et devenir meilleur. Ceux qui sont constamment satisfaits d’eux-mêmes sont ennuyants. On ne peut pas en dire autant de ceux qui se surpassent ».


La vie a un véritable sens pour lui. Elle se doit d’être vécue pleinement. Se soucier du détail pour ne pas sombrer dans la simplicité est pour lui une manière de ne pas insulter ceux qui ont souffert pour vivre pleinement leur vie.


« Même si peu change, il faut être déterminé pour changer le monde. C’est là tout le sens d’un producteur de film. »


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